
Le Lautaret, un col aux mille et une histoires
25 février 2025La construction d’une route à plus de 2000m d’altitude n’est pas une mince affaire. Embarquez pour ce voyage dans le temps sur les traces des diligences.
Ce col mythique, le plus haut à rester ouvert toute l’année, est l’un des cols routiers les plus emblématiques des Alpes françaises. Son emplacement géographique stratégique, relie les régions de Briançon et de Grenoble et plus largement de Lyon à Turin.

La genèse d’un projet

Les seuls liens se faisaient via des sentiers muletiers, peu commodes et souvent impraticables en hiver. La “petite route” passait par les hauteurs, ce chemin permettait tout juste aux colporteurs (marchands ambulants) et aux militaires de circuler. La route avait alors trois utilités; acheminer du courrier, transporter les marchandises (particulièrement entre Lyon et Turin) et le déplacement des voyageurs. Aujourd’hui encore, de nombreux oratoires sont au bord de la route car les voyageurs s’en remettaient à Dieu pour passer. Avec des ressources limitées et peu de travail local, beaucoup d’habitants choisissaient l’expatriation temporaire, pour subvenir à leurs besoins. L’idée d’une route moderne devenait une nécessité stratégique et économique, unissant les deux côtés des Alpes.
Les ingénieurs des Ponts et Chaussées furent mandatés pour transformer les sentiers en un tracé moderne capable d’accueillir diligences et voitures tractées par des chevaux. Mais la réalisation fut lente et semée d’embûches s’étalant sur 77 ans avec de nombreux arrêts. Pour construire la RN91 ont dû faire face à deux problèmes de taille. D’abord le franchissement du col du Lautaret, l’un des plus haut d’Europe, puis le passage du verrou glaciaire qui sépare La Grave et Villar d’Arène. L’ancien chemin taillé dans les schistes s’effondre fréquemment. Il faut donc percer le verrou de deux galeries ; véritable prouesse technique et humaine à une époque ou la dynamite n’a pas encore été inventée. La route fut finalement inaugurée en 1884 après d’importants efforts humains et financiers. Cette nouvelle route bouleversa la vie des vallées, désenclavant le Briançonnais et l’Oisans en transformant les villages traversés par cet axe stratégique. Pour les habitants, c’était le début d’une nouvelle ère, où les échanges économiques et culturels deviennent enfin possibles.

Le bouleversement de toute une vallée.
Le temps de trajet entre Bourg d’Oisans et Briançon était de 16h. Une routine s’installe alors, et petit à petit, des échanges entre les différentes communes se mettent en place. Un certain dynamisme et engouement souffle dans la vallée de la Romanche et de la Guisane. L’enthousiasme de la révolution industrielle se fait ressentir, l’argent circule davantage et la montagne devient un trésor pour ses minéraux et les matières premières, les entrepreneurs y voient un futur glorieux. L’installation de petits centres administratifs avec une gendarmerie, un notaire et des bureaux de postes ouvre les deux régions au monde extérieur. Une diligence parcourra tous les jours le col du Lautaret dans les deux sens pour développer ce lien. Avec cette ouverture les habitudes changent, de nouveaux besoins naissent telle que la transition alimentaire et les vêtements.


Certains bâtiments sont toujours d’actualité, le refuge Napoléon fut terminé en 1856 et l’auberge du Bec de l’Homme en 1866 à Villar d’Arène. Quelques années plus tard, une ligne télégraphique suivra le tracé de la route impériale en passant par le col. Des bureaux de poste apparaissent, désenclavant progressivement les vallées. Au début du XIXème siècle, un bureau de poste s’installe par chef-lieu puis dans chaque commune. Le service est fortement amélioré lorsque la route devient complètement viable en 1890 avec des distributions régulières et un acheminement du courrier d’un bureau à l’autre en 24 heures maximum. Des emplois naissent grâce à la route et à l’ébullition qu’elle transporte comme les entrepreneurs de transport, les voituriers, les garçons d’auberge puis ensuite les métiers miniers, bâtiments et fabrication de tissus sont apparus.


D’une vallée isolée à une vallée dynamique, la création de la route n°91 a marqué un tournant décisif dans l’évolution de la région telle que nous la connaissons aujourd’hui. Bien plus qu’une simple voie de passage, cette route symbolise une bouffée d’air frais pour le monde montagnard, offrant une opportunité de renouveau et de transformation
l'évolution suit son cours
Le tourisme au col du Lautaret connaît, encore aujourd’hui, un essor remarquable, porté par des événements et infrastructures majeurs : le jardin alpin, véritable laboratoire à ciel ouvert depuis 1899, le Tour de France, qui y est passé pour la première fois en 1947, ou encore la création d’une station de ski alpin.
Entre la construction du barrage du Chambon en 1925 et l’éboulement plus récent de 2015, la route a dû s’adapter aux caprices de la montagne, modifiant son tracé sans jamais perdre sa fonction essentielle : assurer le transport des voyageurs et des marchandises. Ce lien vital avec le monde extérieur est indispensable pour maintenir une vallée vivante et dynamique.


Le col du Lautaret est bien plus qu’un simple axe stratégique reliant la vallée de la Haute Romanche au bassin grenoblois : c’est une artère vitale dont dépend toute la région, mais aussi une expérience à part entière. Les conditions climatiques y sculptent le paysage en permanence : ambiance grand nord sous les tempêtes de neige, explosion de couleurs au printemps, couchers de soleil spectaculaires… Chaque passage révèle une nouvelle facette de ce lieu unique.
Le traverser de nuit serait presque un sacrilège, à moins de profiter d’une pleine lune, lorsque les sommets des Écrins s’illuminent de reflets argentés. Le col du Lautaret, ce n’est pas qu’une route : c’est une aventure, un souvenir à vivre au moins une fois dans sa vie.